Garantie décennale et impropriété à la destination de l’ouvrage
L’essentiel de la garantie décennale résulte de la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 dite loi SPINETTA applicable aux chantiers ouverts au 1erjanvier 1979. Elle a été complétée par une ordonnance du 8 juin 2005.
La loi Spinetta
La loi SPINETTA a instauré un régime de garantie axé sur une distinction entre les dommages relevant de la fonction « construction » et ceux relevant de la fonction « équipement » de l’immeuble.
Les ouvrages constitutifs sont des ouvrages qui, par leur rôle, concourent aux fonctions de viabilité, de fondation, de structure, de clos et de couvert.
Les éléments d’équipement se définissent par la fonction qu’ils occupent dans l’opération de construction ; ils peuvent concerner la fonction d’équipement à usage extérieur ou intérieur.
Il résulte du régime SPINETTA, toujours en vigueur, que la garantie décennale s’applique dans trois séries d’hypothèses de dommages matériels à l’ouvrage construit :
- lorsque le dommage compromet la solidité de l’ouvrage (C.civil, art. 1792) ;
- lorsque le dommage affectant l’un des éléments constitutifs de l’ouvrage ou l’un de ses éléments d’équipement le rend impropre à sa destination (C.civil, art. 1792) ;
- enfin, lorsque le dommage affecte la solidité d’un élément d’équipement indissociable des ouvrages de viabilité, de fondation, de clos et de couvert (C.civil, art. 1792-2).
Le vice de construction ou d’équipement doit, en pratique, revêtir un certain degré de gravité pour pouvoir entraîner une impropriété à destination de l’ouvrage. Mais, ce degré de gravité est sans commune mesure avec l’importance de la gravité exigée pour l’atteinte à la solidité, laquelle met l’ouvrage en péril. On passe, en tout état de cause, d’un critère matériel objectif (la solidité) à un critère fonctionnel (l’impropriété) qui est laissé à l’appréciation des juges du fond.
L’impropriété à destination
Le critère d’impropriété à destination doit être apprécié par rapport à l’ensemble de l’ouvrage au regard de la destination convenue à l’origine de la construction.
C’est l’ouvrage dans son entier qui doit être rendu impropre et non la partie d’ouvrage ou l’élément d’équipement atteint de malfaçons. Il n’existe pas à proprement parler de définition légale de l’impropriété à destination. Critère qui permet au maître d’ouvrage de mettre en jeu la garantie décennale dont répond le constructeur de l’ouvrage. L’analyse de la jurisprudence permet de conclure à une conception extensive de cette notion avec pour conséquence une protection accrue des maîtres d’ouvrage.
A travers l’étude de la jurisprudence, on constate que l’impropriété à la destination de l’ouvrage peut être retenue, même en l’absence de dommage matériel à l’ouvrage : erreur d’implantation, non respect des règles parasismiques…
Deux grandes catégories d’impropriété à la destination de l’ouvrage peuvent être distinguées :
- celle qui se réfère à sa dangerosité ;
- celle qui se réfère à son inaptitude.
Ce critère d’impropriété à la destination, par essence subjectif, est très protecteur des droits des acquéreurs et des maîtres d’ouvrage.
Impropriété à la destination et dangerosité de l’ouvrage
Non-respect des règles en matière de sécurité incendie
La jurisprudence considère que le défaut de conformité de l’immeuble aux règlements de sécurité constitue un facteur de risque de perte de l’ouvrage par incendie.
Ainsi, les constructeurs peuvent être condamnés à la prise en charge du coût de la mise en place et de la maintenance d’un système d’alarme sur le fondement de la garantie décennale et ce, même en l’absence d’incendie ou de dommages physiques à l’immeuble.
D’autres exemples peuvent être cités :
- absence d’un dispositif d’alarme conforme aux règlements de sécurité dans un immeuble de grande hauteur,
- absence de sas entre l’ascenseur et l’appartement, constitutive d’une violation des règles de sécurité…
La garantie décennale est mise en jeu car le risque s’est réalisé, c’est-à-dire l’incendie de l’ouvrage même si la cause de l’incendie n’avait pu être déterminée avec précision.
Non-conformité aux normes parasismiques
Les défauts de conformité d’un immeuble aux règles parasismiques portant sur des éléments essentiels de la construction constitue, pour la Cour suprême, un désordre relevant de la garantie décennale des constructeurs.
C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré que, lorsque les défauts de conformité aux règlements parasismiques étaient multiples et portaient sur des éléments essentiels de la construction, ils constituaient un facteur certain de risque de perte par séisme pour une maison située en zone de sismicité.
Sécurité des personnes
La Cour de cassation admet aussi l’impropriété à la destination de l’ouvrage en cas d’accident ou de risque d’accident pour les personnes. La garantie décennale a été retenue, suite à des chutes de glace ayant mortellement blessé une personne, au motif que la toiture du bâtiment de montagne ne comportait pas de dispositif de protection empêchant la formation de stalactites et les chutes de glace. Elle a également été retenue à la suite de chutes de pierres de façade, ou pour des désordres mettant en cause la sécurité de l’installation d’un funiculaire, consistant en des éclatements de plots de calage de la voie.
Impropriété par inaptitude à la destination
Il n’est pas nécessaire que l’ouvrage soit affecté d’un dommage matériel pour que la condition de gravité, requise pour engager la garantie décennale du constructeur, soit considérée comme remplie.
Défaut d’implantation et non-respect des règles d’urbanisme
Une erreur d’implantation rendant nécessaire la démolition et la reconstruction, au moins partielle, de l’immeuble, rend l’ouvrage impropre à sa destination et, par suite, relève de la garantie décennale.
Si la violation des règles d’urbanisme n’est pas, à elle seule, constitutive d’un désordre, la démolition et la reconstruction de l’ouvrage exigées par une erreur d’implantation et de hauteur suffisent à établir un dommage de caractère décennal.
Défauts d’isolation phonique
Même si l’article L 111-11 du Code de la construction et de l’habitation dispose que la conformité des bâtiments d’habitation aux exigences requises en matière d’isolation phonique relève de la garantie de parfait achèvement, cet article n’exclut pas l’application de la garantie décennale si les défauts d’isolation sont susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination.
Ont été jugés constitutifs, à ce titre, de désordres de nature décennale :
- des nuisances sonores et olfactives occasionnées aux voisins par un centre de formation professionnelle d’hôteliers restaurateur ;
- la propagation particulièrement grave des bruits dans les chambres d’un hôtel ;
- le bruit continuel résultant du claquement des ardoises d’un toit les unes sur les autres, en période de vent.
Mais la Cour de cassation va encore plus loin, en estimant que les désordres d’isolation phoniques peuvent relever de la garantie décennale même lorsque les exigences minimales, légales et réglementaires, ont été respectées par les constructeurs.
Ainsi la Cour demande que soit recherché, à l’occasion de désordres d’isolation phoniques relatifs à la diffusion de bruits aériens, si ceux-ci ne sont pas de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, alors même que l’isolation phonique est conforme aux normes applicables.
A travers cette jurisprudence, il est rappelé que le respect des normes et des textes réglementaires ne constitue pas une cause exonératoire de la responsabilité des constructeurs, la conformité aux normes n’excluant pas l’impropriété à destination.
Désordres affectant le clos et le couvert de l’ouvrage
Les désordres qui affectent le clos et le couvert de l’ouvrage peuvent rendre celui-ci impropre à sa destination. A titre d’exemple, on citera :
- la présence d’insectes xylophages dans un chalet en bois ;
- des désordres affectant des tuiles ou des ardoises de nature à produire des infiltrations ;
- l’absence d’étanchéité de jardinières équipant un immeuble, qui peut engager la responsabilité décennale des constructeurs. Dans ce cas, il a été tenu compte de la destination convenue de l’ouvrage pour apprécier l’impropriété à sa destination : les jardinières étaient prévues pour contenir des bambous dont les racines sont particulièrement agressives ;
- l’absence de protection d’un dispositif d’étanchéité de seuils de portes.
Désordres affectant les éléments d’équipement installés avant réception
L’article 1792 du Code civil n’exige pas que l’élément d’équipement, qui rend l’ouvrage impropre à sa destination par ricochet, soit indissociable de l’ouvrage (à l’inverse de l’article 1792-2).
En conséquence, toute défaillance ou vice d’un élément d’équipement est de nature à entrer dans le champ de l’article 1792, dès lors que l’impropriété à destination causée par le désordre ou le dysfonctionnement de l’équipement affecte l’ouvrage dans sa globalité. Autrement dit, l’ensemble de l’ouvrage doit être affecté, et non pas seulement la destination ou la conformité de l’équipement lui-même, si grave soit-elle.
De nombreuses décisions retenant la responsabilité décennale ont été rendues à la suite de défaillances ou dysfonctionnements d’installations de chauffage ou de climatisation d’immeubles.
Il est important de noter que la notion d’impropriété à la destination n’étant pas clairement définie, chaque situation doit être appréciée au cas par cas.
Les juges apprécieront la gravité des dommages qui leur sont soumis et cette appréciation comporte une large part de subjectivité.